samedi 21 juillet 2018

Problème de Bâle et série télescopique

Lorsque j'étais lycéen une des questions qui m'a donnée motivé à poursuivre mes études supérieur dans le domaine des mathématiques était le démonstration de la solution au problème de Bâle $ \sum_{k=1}^\infty {1\over k^2}={\pi^2\over 6}$. Il existe des centaines de démonstrations de cette formule, souvent très compliquées, mais je suis tombé récemment sur un article en donnant une preuve très simple  puisque j'aurais pu la comprendre avec  mes seules connaissance de terminales C. Si j'avais connu cette démonstration j'aurais peut être fait autre chose que des mathématiques :-)





Commençons par replacer la formule de Bâle dans l'histoire des mathématiques. Au départ il n'est pas facile d'appréhender le concept de série, peut on réellement considérer qu'un processus de sommation infini conduise à une valeur finie ? Ce problème apparaît déjà dans le "Paradoxe d'Achille et de la tortue" ,formulé par le philosophe Grec Zénon d'Élée,  dont la résolution fait intervenir la série géométrique :
$$\sum_{k=0}^\infty q^k={1\over 1-q}~~~~\forall \vert q\vert <1$$
C'est au $XVII^\textrm{ème}$ siècle que les mathématiciens commencent à vraiment s'intéresser au calcul des séries, d'abord avec la série harmonique $\sum_{k=1}^\infty {1\over k}$.   Il est facile de comprendre que cette série  diverge car en regroupant les termes :
$$ \sum_{k=1}^\infty {1\over k}= {1\over 1}+{1\over 2}+\underbrace{{1\over 3}+{1\over 4}}_{>2{1\over 4}={1\over 2}}
+\underbrace{{1\over 2^n+1}+\dots {1\over 2^n+2^n}}_{>2^n{1\over 2^{n+1}}={1\over 2}}+\dots \geq {n\over 2}\mathop{\longrightarrow}_{n\to \infty}\infty$$
inversement une série comme $\sum_{k=1}^\infty {1\over k^2+k}$  converge car en découpant et en regroupant astucieusement les termes de proche en proche on obtient :
$$\sum_{k=1}^\infty {1\over k^2+k} =\sum_{k=1}^\infty {1\over k}-{1\over k+1}
= {1\over 1}\underbrace{-{1\over 2}+{1\over 2}}_{=0}-{1\over 3}+\dots +{1\over n-1}\underbrace{-{1\over n}+{1\over n}}_{=0}-{1\over n+1}+\dots= 1$$
c'est l'exemple le plus simple de série télescopique , technique qui permet de calculer un grand nombre de ces sommes.

On a rapidement trouvé des critères assez simple pour justifier la convergence ou la divergence de séries sans savoir les calculer exactement. Mais la question du calcul effectif d'une série convergente a nécessité le développement d'autres techniques comme celles associées les séries entières qui permettent de trouver  $\sum_{k=1}^\infty {(-1)^{k+1}\over k}=-\ln(2)$ ou la série de Grégory  $\sum_{k=1}^\infty {(-1)^{k+1}\over 2*k+1}={\pi\over 4}$. Mais  certaines séries, très simple en apparence, restaient incalculable comme
$$ \sum_{k=1}^\infty {1\over k^2}= 1+{1\over 4}+ {1\over 9} + \dots \approx  1.64493406685$$
C'est en 1735 que Euler, qui vivait à Bâle en Suisse, eu l'intuition du résultat $ \sum_{k=1}^\infty {1\over k^2}={\pi^2\over 6}$. Comme souvent avec Euler sa démonstration relevait plutôt de l'heuristique mais le résultat était parfaitement juste! L'idée d'Euler était que si on considère le polynôme de racines $\alpha_i,i=1\dots, n$  alors en le développant :
\begin{align*}
P(x)&=(x-\alpha_1)(x-\alpha_2)\dots(x-\alpha_n)\\
&= x^n-(\alpha_1+\alpha_2+\dots+\alpha_n) x^{n-1}+\dots \\
&~~+\underbrace{(-1)^{n-1}(\alpha_2\dots\alpha_n+\dots +\alpha_1\alpha_2\dots\alpha_{n-1})}_{=a_1} x+ \underbrace{(-1)^n\alpha_1\alpha_2\dots\alpha_n}_{=a_0}
\end{align*}
on constate que  la somme des inverses des  racines est égale au rapport des coefficients
$${a_1\over a_0}= {\alpha_2\dots\alpha_n+\dots \alpha_1\alpha_2\dots\alpha_{n-1}\over \alpha_1\alpha_2\dots\alpha_n}= {1\over \alpha_1}+\dots +{1\over \alpha_n}$$
Euler eu l'idée d'appliquer cette formule à une fonction qui n'est pas un polynôme mais qui admet un développement en série entière :
$${\sin(\sqrt{x})\over \sqrt{x}}=1-{x\over 6}+\dots +{(-1)^n x^n\over (2n+1)!}+\dots$$
comme cette fonction s'annule aux valeurs telles que $\sqrt{x_k}=k\pi>0$, $k\in{\mathbb N}^*$, il en déduisit que :
$$\sum_{k=1}^\infty {1\over k^2\pi^2}= {1\over 6}\Rightarrow  \sum_{k=1}^\infty {1\over k^2}={\pi^2\over 6}$$
C'était le bon résultat mais la preuve reposait sur une extension des propriétés des polynômes à des fonctions bien plus générales . Peu importe ce résultat était le bon et il allait motiver de nombreux développement grâce auxquels on connaît un très grand nombre de démonstrations rigoureuses de la formule d'Euler.

Les démonstrations classiques de la formule de Bâle qu'on enseigne passent en général par la théorie des séries de Fourier. En appliquant le théorème de Dirichlet ou la formule de Parseval à l'une des fonction $2\pi-$ périodique suivante :
$$\sum_{k=1}^\infty{\cos(kx)\over k^2}={(\pi-x)^2},~~
\sum_{k=1}^\infty{\sin(kx)\over k}={\pi-x\over 2}
~~~~\forall x\in]0,2\pi[$$
Il existe pourtant beaucoup d'autres démonstrations faisant appel à des interversion séries/intégrales, au théorème de Fubini, ou a des relations entre racines et coefficients de polynômes construits à partir de fonctions trigonométriques ... Dernièrement une vidéo expliquant une preuve basée sur des propriétés géométrique d'un cercle et une analogie avec la propagation de la lumière à eu un fort succès sur les réseaux sociaux :





Ces démonstrations sont souvent très techniques et difficiles à retenir, en tout cas hors de porté d'un lycéen. Pourtant il existe une démonstration assez élémentaire et peu technique qui permet d'écrire la série $\sum {1\over k^2}$ comme une série télescopique dont les coefficients sont donnés par des intégrales de Wallis. L'idée de départ est due à Matsuoka (publiée dans "The American Mathematical Monthly" en 1961)  puis fût reprise par d'autres auteurs.

Au départ on pose pour $n\in{\mathbb N}$ :

$$A_n=\int_0^{\pi\over 2} \cos^{2n}(x) dx,~~~~
B_n=\int_0^{\pi\over 2} x^2\cos^{2n}(x) dx~~~(1)$$

on trouve une formule de récurrence pour $A_n$ avec une intégration par parties :
\begin{align*}
A_{n+1}&=\int_0^{\pi\over 2} \cos(x)\cos(x)^{2n+1} dx\\
&=\left[\underbrace{\sin(x)\cos(x)^{2n+1}}_\text{$\sin(0)=0$ et $\cos(\pi/2)=0$  }\right]_0^{\pi\over 2}-\int_0^{\pi\over 2} \sin(x)(2n+1)\cos(x)^{2n}(-\sin(x)) dx\\
&=0+(2n+1)\int_0^{\pi\over 2} \underbrace{\sin(x)^2}_{=1-\cos(x)^2}\cos(x)^{2n} dx= (2n+1)(A_n-A_{n+1})\\
\Rightarrow & (2n+2)A_{n+1}=(2n+1)A_n~~~(2)
\end{align*}

de même on trouve une formule de récurrence pour $B_n$ avec une intégration par parties en partant de $A_n$:
\begin{align*}
A_{n}&=\int_0^{\pi\over 2} \cos(x)^{2n} dx=\int_0^{\pi\over 2} 1\times \cos(x)^{2n} dx\\
&=\left[\underbrace{x\cos(x)^{2n}}_\text{nul en $x=0$ et $\cos(\pi/2)=0$  }\right]_0^{\pi\over 2}-\int_0^{\pi\over 2} x\underbrace{(2n)\cos(x)^{2n-1}(-\sin(x))}_{=(\cos(x)^{2n})'} dx\\
&=0+(2n)\int_0^{\pi\over 2} x\sin(x)\cos(x)^{2n-1} dx\\
&=\left[\underbrace{nx^2\sin(x)\cos(x)^{2n-1}}_\text{nul en $x=0$ et $\cos(\pi/2)=0$  }\right]_0^{\pi\over 2}-\int_0^{\pi\over 2} nx^2\underbrace{\left(\cos(x)\cos(x)^{2n-1}-(2n-1)\sin(x)^2\cos(x)^{2n-2}\right)}_{=(\sin(x)\cos(x)^{2n-1})'} dx\\
&= 0-n\int_0^{\pi\over 2} x^2\cos(x)^{2n}dx+n(2n-1)\int_0^{\pi\over 2} x^2(1-\cos(x)^2)\cos(x)^{2n-2} dx\\
\Rightarrow A_n&= -nB_n+n(2n-1)(B_{n-1}-B_n)= n(2n-1)B_{n-1}-2n^2B_n
\end{align*}
en divisant par la relation $2nA_n=(2n-1)A_{n-1}$
$$ {1\over 2n}={A_n\over 2nA_n}={ n(2n-1)B_{n-1}\over (2n-1)A_{n-1}}-{2n^2B_n\over 2nA_{n}}=n\left({ B_{n-1}\over A_{n-1}}-{B_n\over A_{n}}\right)$$
en divisant par $n$ on obtient maintenant
$${1\over n^2} = 2\left({ B_{n-1}\over A_{n-1}}-{B_n\over A_{n}}\right)$$
qui donne donc une représentation de la série $\sum {1\over k^2}$ comme une série télescopique :
$$\sum_{k=1}^n {1\over k^2}=2{ B_{0}\over A_{0}}-2{B_1\over A_{1}}+\dots+2{ B_{n-1}\over A_{n-1}}-2{B_n\over A_{n}}=2{ B_{0}\over A_{0}}-2{B_n\over A_{n}}$$
même si on sait que la série converge (par le critère de Riemann) il reste à vérifier que ${B_n\over A_{n}}\mathop{\longrightarrow}_{n\to \infty}0$ . Le plus simple est d'utiliser la majoration classique
$$\sin(x)\geq {2\over \pi}x\geq 0,~~~~\forall x\in[0,\pi/2]$$
(la droite $y={2\over \pi}x$  est la corde sous le graphe de la fonction $\sin(x)$ sur l'intervalle $[0,\pi/2]$). On l'utilise dans la définition de  $B_n$ :
\begin{align*}
B_n&=\int_0^{\pi\over 2} x^2\cos^{2n}(x) dx\\
&\leq \int_0^{\pi\over 2} {\pi^2\over 4} \sin(x)^2\cos^{2n}(x) dx\\
&\leq {\pi^2\over 4} \int_0^{\pi\over 2} (1-\cos(x)^2)\cos^{2n}(x) dx
={\pi^2\over 4} (A_n-A_{n+1})\\
\Rightarrow &0\leq {B_n\over A_n}\leq {\pi^2\over 4} \left(1-{A_{n+1}\over A_n}\right)= {\pi^2\over 4} {1\over 2n+2}\mathop{\longrightarrow}_{n\to \infty}0
\end{align*}
(où l'on a utilisé (2) pour remplacer  ${A_{n+1}\over A_n}$) . On en déduit que
$$\sum_{k=1}^\infty {1\over k^2}=2{ B_{0}\over A_{0}}=2{ \pi^3/24\over \pi/2}={ \pi^2\over6}$$
puisque
\begin{align*}
A_0=\int_0^{\pi\over 2} 1dx={\pi\over 2}
~~~~
B_0=\int_0^{\pi\over 2} x^2dx=\left[{x^3\over 3}\right]_0^{\pi\over 2}={\pi^3\over 24}
\end{align*}



1 commentaire:

Pour écrire des formules mathématiques vous pouvez utiliser la syntaxe latex en mettant vos formules entre des "dollars" $ \$....\$ $ par exemple :
- $\sum_{n=1}^\infty {1\over n^2}={\pi^2\over 6}$ s'obtient avec \sum_{n=1}^\infty {1\over n^2}={\pi^2\over 6}
- $\mathbb R$ s'obtient avec {\mathbb R} et $\mathcal D$ s'obtient avec {\mathcal D}
- pour les crochets $\langle .,. \rangle$ dans les commentaires utilisez \langle .,. \rangle
vous pouvez écrire du html dans les commentaires :
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